Entre souffrance et fuite : dissociation et stratégies de survie face au trauma

Illustration de l'article sur les troubles dissociatifs d'identité comme une stratégie psychologique de fuite. Une femme derrière la vitre, le dos tourné au monde.

Certaines personnes, après des expériences traumatiques répétées dès l’enfance, développent des mécanismes de survie profondément ancrés. Ces stratégies, souvent inconscientes, ont pour but premier de protéger la psyché de la souffrance insupportable.
Si leurs manifestations peuvent sembler étranges, voire autodestructrices, elles révèlent en réalité la formidable intelligence adaptative du psychisme humain.
Explorons trois formes de “fuite” que le mental met en œuvre face au danger, et comment ces stratégies peuvent, peu à peu, devenir des ressources sur le chemin de reconstruction.

1. La dissociation et les troubles dissociatifs d’identité (TDI) : une fuite inconsciente face à l’insupportable

Un petit garçon dans un coin embrasse sa peluche en cachant son visage. Des nuages grises et des éclaires autour de lui.

Lorsqu’un enfant grandit dans un climat de peur, de négligence ou de chaos émotionnel, son système nerveux apprend à survivre plutôt qu’à vivre.
L’une des réponses les plus puissantes à cette détresse est la dissociation, une coupure entre la conscience, les émotions et le corps.

Ce mécanisme permet de s’échapper intérieurement lorsque la réalité devient insoutenable. La personne peut se sentir “absente”, coupée d’elle-même, observer la scène de loin, comme spectatrice de sa propre vie. Dans les formes plus intenses, cette division interne peut aller jusqu’à la multiplicité des états de conscience, parfois identifiés comme des troubles dissociatifs d’identité (TDI).


Les spécialistes des troubles dissociatifs insistent souvent sur un point fondamental:

La dissociation n’est pas une faiblesse, mais une preuve de résilience extrême.

Elle montre à quel point l’esprit humain peut inventer des solutions pour rester en vie, même au prix de la continuité de soi.

Quand la conscience se réveille

Lorsque la personne entame un travail thérapeutique, elle devient progressivement consciente de ces différents états ou parts.

Les amnésies s’atténuent, la communication intérieure s’ouvre, et avec elle émerge une lucidité à la fois précieuse et douloureuse.

Les switches — ces changements d’état de conscience — peuvent alors être vécus comme des ressources : une manière pour le corps et la psyché de trouver un moment de répit.

Illustration évoquant des multiples états du moi chez une personne touchée par les TDI.

Au milieu du tumulte intérieur, lorsqu’une part plus joyeuse, insouciante, voire euphorique et passionnée prend le relais, la personne se coupe temporairement de la souffrance chronique qu’elle endure.
Il est donc essentiel de reconnaître la fonction protectrice de ces switches, plutôt que de considérer chaque nouveau épisode comme un échec.

Le temps d’accompagnement, et surtout le travail persévérant de la personne concernée par les TDI, peut être plus ou moins long avant d’atteindre une forme de stabilisation.
Et même une fois ce stade atteint, il reste nécessaire d’adopter des stratégies de sécurité émotionnelle dans la vie quotidienne — pour se protéger des stress environnementaux, souvent silencieux et insidieux, qui pourraient réactiver d’anciennes blessures.

La véritable force réside alors dans la connaissance intime de ses propres mécanismes psychiques, qui permet d’anticiper, de se réguler et de préserver son équilibre.
Cette vigilance, soutenue par un suivi thérapeutique sur le long terme et une grande discipline intérieure, devient la clé d’une qualité de vie ajustée à l’histoire singulière de la personne.

Psychothérapie pour les TDI - troubles dissociatifs d'identité. Une personne accompagnée et son thérapeute.

2. Les fuites (plus) conscientes : addictions et comportements à risque

Les mécanismes d’apaisement de la souffrance peuvent prendre d’autres formes de fuite, souvent plus conscientes et comportementales.
Les addictions en sont une expression : troubles alimentaires, alcool, drogues, automutilation, hypersexualité, jeux addictives, sports extrêmes…
Toutes ces conduites ont un point commun: elles permettent de modifier l’état de conscience, de s’anesthésier temporairement face à une douleur psychique trop intense.

Derrière ces comportements, souvent jugés ou mal compris, se trouve fréquemment une même tentative : reprendre le contrôle sur une émotion ingérable.
Ces réactions de fuites peuvent être très nocives, mais elles sont d’abord des solutions de survie.


Elles révèlent la lutte intérieure entre le besoin de protéger sa psyché en baissant la tension permanente de la souffrance interne, conscientisée ou pas, et l’envie de se reconnecter à la réalité d’avant les grands traumas. Ces fuites répondent aussi souvent à l’instinct puissant qui est le besoin de se sentir vivant, alors que l’histoire de vie a coupé la personne de son courant.

Addictions comme stratégie de fuite dues aux traumatismes. Un homme triste et épuisé avec une bouteille d'alccol à la main.

Un homme passioné et perfeectionniste travaille tard la nuit. Illustration évoquant une stratégie psychologique de fuite.

Certaines personnes développent des formes plus nuancées, moins destructrices pour la santé et ses relations sociales, mais qui remplissent une fonction similaire :
la compulsion de rangement, le perfectionnisme extrême, la collection d’objets, ou la succession de nouvelles passions.

Ces comportements peuvent sembler anodins, mais ils traduisent le même besoin fondamental : se dissocier de la douleur par l’action. Car la vie est un mouvement et le manque d’action signifie la mort.

3. Du mécanisme de fuite à la stratégie de régulation consciente

Avec le temps, le travail thérapeutique et la mise en mots de ce qui autrefois était indicible, ces stratégies peuvent évoluer.
La personne apprend à observer ses mécanismes sans se juger, à reconnaître la fonction protectrice qu’ils ont eue, et à les transformer en ressources plus conscientes.

Accompagnée d’un thérapeute formé aux traumas complexes — que ce soit en hypnothérapie intégrative, en psychothérapie ou en approche psychocorporelle — elle peut développer de nouvelles compétences d’auto-régulation pour empêcher les fuites trop chaotiques voir dangereuses:

  • identifier ses déclencheurs,
  • choisir des modes d’apaisement non destructeurs,
  • maintenir un dialogue intérieur bienveillant,
  • et mobiliser son corps en tant que l’ancrage de sécurité.

Dans certaines phases de transition, des formes de fuite peuvent être tolérées, acceptées, voir encouragées — comme un jeu vidéo, une collection ou une activité absorbante. Cela peut représenter une alternative protectrice face à des impulsions plus dangereuses.
Le but n’est pas d’éradiquer les fuites, mais de les apprivoiser, en comprenant leur sens et leur utilité.

Illustration de passion pour la musique comme une stratégie psychologique de fuite et de recherche de ressources intériéures.

Idéalement la personne développera avec son entourage des stratégies de fuite « saines » comme le contact avec la nature, le jeu sur un instrument de musique, ou toute autre activité de bien-être ou artistique. L’intensité de coupure avec son esprit conscient et la réalité qui l’entoure sera observée pour avancer vers l’effacement de ces barrières, certes protectrices, mais enferment la personne derrière un mur invisible. 

Ainsi, la personne avance vers un équilibre nouveau : moins de dissociation, plus de conscience.
Chaque fois qu’elle reconnaît ses mécanismes de fuite sans honte, elle reconquiert un peu plus de pouvoir sur sa vie intérieure.


Conclusion : la fuite n’est pas une faiblesse, c’est une expression de la force de survie. Sous toutes ses formes, la fuite psychique est une tentative de protection.
C’est une intelligence du corps et du mental qui cherche, à sa manière, à préserver la vie.
La comprendre, plutôt qu’à la combattre, est une étape essentielle du processus de reconstruction psychique.


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« De la fragmentation à l’unité – la naissance du nouveau soi après un TDI »

Illustration d'article proposant un point de vue sur les troubles dissociatifs d’identité et de la reconstruction de la personnalité après une thérapie de reconciliation des parties intérieures. L'image présente l'ombre d'une personne, avec une multitude de personnages en arrière plan flouté.